s. m. Serpent monstrueux qui est parvenu avec l'âge à une prodigieuse grandeur. Les anciens Naturalistes se sont esgayez à descrire ce monstre en diverses manieres. Ils luy ont donné des ailes, des crestes, des pieds & des testes de differentes figures, jusques là qu'Aldroandus fait mention d'un dragon né de l'accouplement d'une aigle avec une louve, qui avoit de grandes ailes, une queuë de serpent, & des pieds de loup. Mais il est le premier à dire avec les Modernes, que c'est un animal chimerique, si on le pretend faire differer d'un vieux serpent. Quelques-uns même ont dit qu'il y a en Afrique des dragons volans qui peuvent emporter un homme & un cheval, & qu'ils emportent souvent des vaches. Albert le Grand fait mention d'un dragon de mer, semblable à un serpent, qui a les ailes courtes, le mouvement tres-prompt, & si venimeux, qu'il fait mourir par sa morsure. On appelle aussi la Vive, Dragon de mer, ou Araignée de mer.

Les Poëtes qui ont feint que le Jardin des Hesperides étoit gardé par un dragon, ont entendu la Mer Oceane qui fermoit l'entrée aux Isles Fortunées, ou à l'Amerique, d'où venoient de beaux fruits, & où se trouvoient les mines d'or. On peint un dragon auprés de Sainte Marguerite. On appelle dragon la Gargouille de Rouën. Voyez Fierte. En l'Eglise on a porté d'ancienneté des figures de dragons dans les Processions, pour representer le Diable, ou l'Heresie, dont l'Eglise triomphe. On le portoit au bout d'une perche, & un enfant avoit une lanterne où étoit un cierge allumé, pour rallumer le feu qui étoit en la gueule du dragon, s'il venoit à s'éteindre.

DRAGON, en termes de l'Escriture, se dit figurément du Serpent infernal, de Sathan. Ainsi quand il est dit dans l'Apocalypse, Chap. 12. que le Dragon & ses Anges combattoient contre St. Michel, il est expliqué aussi-tost, que c'étoit le Diable & Sathan. Et de même au Chap. 13. quand il est dit, que le Dragon a été adoré ; & pareillement quand il est dit dans les Propheties d'Esaïe & de Daniel, que le Dragon a été blessé, a été mis à mort, cela s'entend du mystere de la Redemption qui a destruit l'empire de Sathan.

DRAGON, se dit hyperboliquement de ceux qui font les meschants & les difficiles à contenir dans le devoir. On le dit même des femmes & des enfants. Cette femme crie toûjours son mari, c'est un vray dragon. Cet enfant est un vray dragon, il est incorrigible & mutin.

DRAGON, en termes de Guerre, est une sorte de Cavalier sans bottes, qui marche à cheval, & qui combat à pied. On a beaucoup multiplié en France le corps des Dragons. Les Dragons sont postez à la teste du camp, & vont les premiers à la charge, comme les enfants perdus. Ils sont reputez du corps de l'Infanterie, & en cette qualité ils ont des Colonels & des Sergents ; mais ils ont des Cornettes comme la Cavalerie. Menage derive ce mot du Latin Draconarii, qu'on trouve dans Vegece dans la signification de soldats. Mais il y a plus d'apparence qu'il vient de l'Alleman targen, ou draghen, qui signifie infanterie portée.

Chez les Romains il y avoit des Dragons qui servoient d'étendarts aux simples Compagnies, comme les Aigles en servoient pour les Legions, selon le témoignage de Claudian. Les Empereurs d'Occident, comme Othon, les Saxons, les Anglois, & même les Ducs de Normandie, ont eu de pareils estendarts, qu'ils faisoient porter à la guerre comme une Oriflamme.

DRAGON VOLANT, est aussi un nom qu'on a donné à une ancienne coulevrine extraordinaire qui a 39. calibres de long, & qui tire 32. livres de balle, selon Hanzelet.

DRAGON, est aussi une maladie qui vient aux yeux des chevaux. Ce cheval a diminué de prix, depuis qu'il luy est venu dans l'oeuil un dragon.

DRAGONS, en termes de Marine, sont de gros tourbillons d'eau qu'on trouve souvent sous la Ligne, qui briseroient ou couleroient à fonds les navires, s'ils passoient par dessus : & les Mariniers ont la superstition de croire qu'ils les detournent à costé, en battant leurs espées nuës en croix du costé d'où vient l'orage, comme dit François Peyrard.

DRAGON, est aussi une Constellation celeste vers le Pole Arctique, ayant 31. estoiles, selon Ptolomée ; 32. selon Kepler ; & 33. selon Bayer, qui sont de la nature de Saturne & de Jupiter.

En termes d'Astronomie, on appelle la teste & la queuë du Dragon, les points des intersections de l'Ecclyptique par l'orbite des autres Planetes, & particulierement par celle de la Lune. Le ventre du Dragon est l'endroit de ces cercles où se trouve leur plus grande latitude & éloignement. Comme ces cercles marquent une plus grande enfleure au milieu qu'aux extremitez, cela a fait croire qu'ils avoient la figure du dragon ; ce qui les a fait hommer ainsi : & c'est dans ces seuls points d'intersection que se font toutes les ecclipses. On les marque dans les horoscopes avec ces signes (ne peut être reproduit). teste de dragon ; (ne peut être reproduit) queuë de dragon. Mais il n'y a rien de plus vain que les predictions que fondent là-dessus les Astrologues ; car en effet ces points n'ont aucune vertu ni influence.

DRAGON, est aussi un meteore qui se forme de quelques nuées enflammées qui jettent quelques estincelles, qui ont divers plis, & qui imitent la figure d'un dragon.

DRAGON, en termes de Blason, quand on le dit simplement, s'entend du terrestre, qui doit avoir deux pieds, & la queuë en pointe. Il y en a d'autres qu'on appelle monstrueux, qui ont des ailes : & on appelle dragonnez, les autres animaux qui sont peints avec des queuës de dragons, ou de serpents. Il y a eu un Ordre de Chevalerie appellé du Dragon, institué par Sigismond Empereur & Roy de Hongrie, vers l'an 1400.

Sang de dragon. Terme de Pharmacie. Les Anciens ont creu que le dragon combattoit contre l'élephant ; qu'il luy sucçoit tout son sang par les yeux & les oreilles ; que l'élephant tombant mort, écrasoit le dragon ; & que de ce sang meslé tombant sur la terre, on en recueilloit ce qu'ils appelloient sang de dragon, dont ils faisoient grand estat. C'est ainsi qu'en parlent Solin, Pline, Isidore, & plusieurs autres aprés eux. Mais ce combat est une fable inventée par les Marchands. On appelle aussi le cinnabre, sang de dragon, selon Avicenne & Serapion. Mais le vray & naturel sang de dragon est un suc ou gomme d'un arbre nommé anchuse, qui vient d'Afrique ; & il s'en fait d'artificiel avec du santal, ou de la gomme de cerisier ou amendier dissoute & cuite dans la teinture du bois de Bresil. Cardan dit qu'il vient d'un autre arbre de l'Isle Zocotora.

Il y a un vray sang de dragon dont François Cauche fait mention en son Voyage de Madagascar. Il dit qu'on luy fit present de six morceaux de sang de dragon, chacun long de trois pouces, ressemblant à des morceaux de boudin, marbrez comme le savon d'Alican, de rouge, de noir & de blanc : ce que les habitans appellent onguent pour estancher le sang. Ils sont faits de feuilles pilées d'un arbre fort branchu, & gros comme un poirier, qui a les feuilles longues & plus estroites que celles du laurier, ayant une odeur de violette. Les fleurs sont blanches & odoriferantes, venant en bouquet, rondes, & n'ayant que cinq feuilles bien ordonnées. Elles se ferment la nuit, & ne sont pas plus larges qu'un double. Il sort du milieu un filet rougeastre qui se recoquille en telle sorte, qu'il fait la figure d'un dragon. Amatus Lusitanus, Matthiole & Bisciola rapportent quelque chose de semblable, & disent qu'il y a de grands arbres à Madere, à Porto Santo, aux Canaries, & en Afrique, appellez dragons & draconaries, qui jettent en larmes des gouttes ou gommes rouges & luisantes, desquelles si on touche quelque chose, il y paroist une rougeur noirastre ; & qu'on nomme cette goutte le sang de dragon. Ils produisent un fruit semblable à une cerise, qui a au dessous de la peau qu'elle couvre la figure d'un dragon aussi-bien representé que s'il avoit été taillé par un Sculpteur, avec la gueule ouverte, un long col & une longue queuë : ce qui a donné à l'arbre le nom de dragon ; & la couleur rouge de la gomme luy a donné le nom de sang.